Quitterie CAZES
L’ART ROMAN AUJOURD’HUI
L’art roman aujourd’hui : apprécier, comprendre, analyser l’art des XIeet XIIesiècles esttoujours d’actualité. Qu’est-ce que l’art roman ? Qu’est-ce que l’art roman aujourd’hui ?Répondre à cette question demande un petit retour en arrière. Depuis deux siècles, on acherché à en comprendre diverses facettes : ses origines, la typologie de ses édifices, laqualification de sa sculpture par rapport à la « grande » sculpture antique, son iconographie, ses relations avec la société contemporaine, les rôles respectifs des artistes et des commanditaires, la transmission des modèles et la réception des oeuvres, etc. Chaque époque a eu sa vision, sa perception, son analyse de l’art roman : entre héritages et questionnements actuels, faire ce chemin rétrospectif nous invite à mesurer combien nous sommes redevables de nos prédécesseurs – dont certains ont marqué de leur empreinte les Journées romanes – et à quels points les questionnements actuels sont ancrés dans la réalité d’aujourd’hui.
Jacqueline LECLERCQ-MARX, Emmanuel GARLAND
NOS JOURNÉES ROMANES
Pour les auteurs, témoins des premières années, c’est l’occasion de retracer l’histoire des Journées romanes afin que le public d’aujourd’hui en comprenne l’évolution, la richesse, l’originalité, sur le plan de l’Histoire de l’art, mais aussi sur le plan humain, les rencontres, l’équilibre entre les conférences et les visites, bref tout ce qui fait « l’ADN » des Journées romanes. Évoquer la genèse du projet, le tandem décisif Durliat/Ponsich, le choix de la convivialité, sans oublier les anecdotes savoureuses restées dans les mémoires… Évoquer les premiers Cahiers qui se réduisent à cent pages d’un petit format, puis, rapidement, le besoin de choisir un thème, de se concentrer sur un sujet, initialement centré sur la Catalogne mais qui, rapidement, ouvre sur l’ailleurs, le Midi, la Méditerranée, plus loin encore… Epopée, parfois, des visites sur site, qui ont mené de Saint-Guilhem-le-Désert à Barcelone, de l’Aude à l’Andorre. Avec la volonté de sans cesse faire connaître des monuments modestes voire méconnus, sans oublier les incontournables : Saint-Martin du Canigou, Serrabona… et Saint-Michel de Cuxa.
Christian SAPIN, François HEBER-SUFFRIN
DU CAROLINGIEN AU ROMAN : RÉALITÉS ARCHITECTURALES ET ARCHÉOLOGIQUES D’UN CHANGEMENT
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les découvertes archéologiques concernant les édifices religieux carolingiens ont permis de dégager les caractères de cette architecture, presque inconnue auparavant par manque de témoins et perçue, pour ce qu’on en connaissait, comme un reflet abâtardi des oeuvres de l’Antiquité tardive. La présence de compléments architecturaux tels que les massifs occidentaux, les absides occidentales ou les cryptes hors-oeuvre, ce, dès la fin du VIIIe siècle, a été justifiée par l’adoption de pratiques liturgiques nouvelles, développées sous Charlemagne, dans le cadre de son entreprise de renovatio. La tentation a été grande de percevoir de même les constructions romanes similaires. Si une certaine continuité dans la disposition des espaces est indéniable entre des abbatiales comme celles Corvey-sur-Weser (v. 870) ou de Tournus (1020-1050), la comparaison entre ces deux édifices témoigne de leurs profondes différences tant dans l’organisation de l’espace liturgique que dans les techniques de construction. Dans les grandes abbatiales carolingiennes, notamment dans le précoce exemple de Saint-Riquier, le sanctuaire apparaît comme une construction intellectuelle destinée à recréer à l’aide de reliques une synthèse du monde chrétien dans l’espace comme dans le temps, à laquelle s’adapte la structure architecturale. L’abbatiale romane a certes hérité de ces plans complexes mais leur signification a évolué dans le cadre d’une réflexion architecturale renouvelée. Le Xe siècle, souvent méconnu, avec notamment la naissance et le développement de Cluny apparaît comme un acteur majeur de cette importante mutation. Les découvertes ou relectures archéologiques et les nouvelles approches archéométriques, bases de datations et de chronologies mieux fondées, ont permis de préciser changements et filiations, qui ne résultent pas seulement d’une évolution, que l’on a cru continue, « des styles ».
Andreas HARTMANN-VIRNICH
L’ARCHITECTURE SALIENNE ET LE « PREMIER ÂGE ROMAN »
À partir du second quart du XIe siècle l’architecture religieuse monumentale germanique est marquée par des changements dont l’analogie formelle et constructive avec le répertoire du « premier âge roman » pose la question des échanges qui ont pu motiver, favoriser et stimuler une ouverture sur l’art de bâtir au Sud des Alpes et à l’Ouest du Rhin. Il en va ainsi, tout particulièrement, pour l’enrichissement de la plastique murale par l’intégration voire l’assimilation des lésènes et arcatures caractéristiques de la première architecture romane méditerranéenne et bourguignonne, et pour le développement du voûtement, introduit dès les années 1030-40 à une échelle monumentale dans la cathédrale de Spire, à Limburg an der Haardt, à Sainte-Marie-au-Capitole de Cologne ou à Trèves. La contre-abside de Saint-Bénigne de Dijon poserait-elle la question d’un rapport en sens inverse avec l’architecture ottonienne ? Si les antagonismes politiques et les nationalismes de la fin du XIXe et du XXe siècle ont contribué à l’émergence d’une vision autonomiste de l’évolution de l’architecture germanique dans l’historiographie allemande, qui tend à privilégier l’hypothèse d’un développement autonome à partir de son propre substrat carolingien et ottonien enrichi par l’intérêt pour l’architecture antique, les rencontres et échanges entre maîtres d’ouvrage au sein de l’Église suggèrent – voire supposent – une certaine interdépendance des phénomènes à une large échelle géographique.
Luigi SCHAVI
LE PREMIER ART ROMAN EN LOMBARDIE
Cette communication a l’intention de présenter un état des recherches sur l’architecture protoromane de l’Italie du Nord, spécialement en Lombardie. Ce thème est revenu au centre des intérêts des chercheurs depuis quelques années, comme le démontrent plusieurs rencontres (particulièrement celles de Beaume-les-Messieurs et Saint-Claude, en 2009 et Pavie, en 2010). La recherche la plus récente a mis en valeur beaucoup d’édifices et même des territoires jusqu’ici laissés de côté ou ignorés. L’augmentation des données archéologiques a ainsi contribué, même pour le nord de l’Italie, a une lecture critique largement renouvelée du phénomène du premier art roman. Il est cependant important de souligner, également, une mise à jour méthodologique de la recherche, qui a porté ces dernières années une attention nouvelle à l’historiographie produite par de grands érudits de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe (Dartein, Landriani, Verzone, Arslan) ainsi qu’à leurs archives.
Milagros GUARDIA
L’ART ROMAN EN CATALOGNE
Ma contribution se veut un état de la question des recherches menées sur l’art roman catalan au cours des cinquante dernières années, avec un accent particulier sur le développement, les essais et les expériences qui conduisent à la définition des formes d’un langage artistique que l’on appelle habituellement l’art roman, au XIe siècle.
Pierre MARTIN
L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE DANS LE DOMAINE DES PREMIERS CAPÉTIENS AUTOUR DE L’AN MIL : LE CAS D’ORLÉANS
Orléans fut l’une des capitales des Capétiens à une époque où la cour était encore itinérante : avant le développement et la prépondérance de Paris dans le courant du XIIe siècle, la cité ligérienne bénéficia d’une attention particulière de la nouvelle dynastie, notamment sous le règne de son second souverain, Robert le Pieux (996-1031). Les vestiges conservés illustrent l’importance de certaines constructions de prestige – telles la collégiale SaintAignan ou la cathédrale Sainte-Croix – voire plus modestes, comme la crypte Saint-Avit. Les carences scientifiques comme les avancées méthodologiques conduisent aujourd’hui à relire ces constructions grâce à l’archéologie. Toutefois, au-delà des éléments formels et techniques fournis par ces chantiers, les comparaisons qui peuvent être développées avec les autres réalisations du domaine royal illustrent les mutations que connut l’architecture au tournant du second millénaire. Il convient donc de s’interroger sur la question de l’influence royale sur la définition et la stabilisation de nouvelles formules architecturales.
Jordi CAMPS I SORIA
ART ROMAN ET MUSÉES EN CATALOGNE. HISTOIRE, PERSPECTIVES
La salle d’un musée n’est pas un chapitre dans un manuel d’histoire de l’art. Cependant, la visite d’un musée (présentielle ou virtuelle) est presque incontournable pour la perception actuelle de l’oeuvre d’art que ce soit pour certains chef-d’oeuvres (highlights), parfois emblématiques, soit parce qu’ils montrent un territoire, une technique, un artiste, etc.
En Catalogne, un aspect qui définit la base pour la création et le développement des musées entre les XIXe et XXe siècles est la préservation et l’étude du passé médiéval, roman pour ce qui nous intéresse maintenant, toujours encadrée dans un contexte international. S’il y a des monuments indispensables tels que le monastère de Ripoll, le prieuré de Serrabona ou le cloître de la cathédrale de Gérone, les musées conservent des oeuvres de référence telles que la Tapisserie de la Création, la Descente de Erill la Vall, ou surtout des ensembles de peintures murales comme Sant Climent de Taüll. Les ensembles peuvent désormais être fragmentés, répartis dans plusieurs institutions, voire entre les musées et le monument lui-même. Au-delà du fait que le Musée national d’art de Catalogne contient la série la plus emblématique de la peinture romane, l’histoire et l’état des connaissances sur l’art roman en Catalogne ne peut être expliquée sans de grandes institutions telles que le Museu Episcopal de Vic (1891) ou le Musée diocésain de Solsona (1896), entre autres. Chacun d’eux montre une approche muséographique adaptée à son histoire et à sa fonction, ainsi qu’à ses collections. Parmi les domaines de travail que les musées peuvent proposer en matière d’art roman, les expositions temporaires, souvent liées à un processus de recherche scientifique, et la relation avec le territoire doivent être prises en compte. Ce dernier fait est essentiel, dans la mesure où de nombreuses oeuvres qu’on y conserve proviennent de monuments appartenant à la totalité du pays (à l’exception de celles provenant du reste du monde hispanique et d’autres origines), et qu’il s’agit en grande partie d’oeuvres qui ont été créés pour un cadre architectural, avec tout ce qui concerne le rôle des promoteurs et des artistes, le programme iconographique, les espaces et la liturgie, etc. Dans un monde globalisé, qui évolue de plus en plus rapidement, où les audiences se transforment pour des raisons d’ordre générationnel et culturel, il est essentiel de rechercher des formules pour attirer le public, mais surtout pour pouvoir puiser dans l’art roman ces aspects et valeurs qui peuvent le rapprocher du XXIe siècle. Au-delà du rôle que conservateurs, éducateurs, communicateurs, etc. peuvent développer dans cette tâche, l’utilisation des nouvelles technologies doit contribuer à diffuser les nouveaux contenus, pour différents secteurs de la société, pour faire de la visite une expérience fructueuse sans empêcher la jouissance de l’oeuvre originale.
Daniel CAZES
L’ART ROMAN DANS LES MUSÉES TOULOUSAINS
Le traitement muséologique/muséographique, et aussi liturgique, dans les monuments et musées de Toulouse, des sculptures romanes déplacées pour des motifs divers, nous permettent de comprendre les démarches de restitution et évocation de la ville comme « capitale romane ». L’étude de quelques cas choisis dans le cadre de la basilique SaintSernin, vantée comme la plus grande église romane conservée debout en Europe, et du musée des Augustins dont la collection est d’un intérêt majeur, essaient de démontrer comment Toulouse se vécut créatrice d’art roman, comment elle a voulu transmettre cette connaissance, cette sensibilité, à ses habitants et visiteurs, de la première moitié du XIXe siècle à nos jours.
Cécile VOYER
EXISTE-T-IL UNE PENSÉE ICONOGRAPHIQUE ROMANE ?
Existe-t-il une pensée iconographique « romane » ? Autrement dit, existe-t-il une « pensée en images » spécifique ou une culture visuelle particulière aux XI e -XII e
siècles ? S’ interroger sur la singularité romane dans ce domaine nécessite d’observer quels étaient le statut de l’ image et les mécanismes de la création aux périodes antérieures. Ce regard vers la période carolingienne permet d’ouvrir le questionnement : la théologie et le statut de l’ image varient-ils entre le IXe et le XII e siècle ? Les procédés de création mis en oeuvre se transforment-ils au cours du premier Moyen Âge ? À travers des exemples du début du XI e siècle, nous tenterons de répondre à ces interrogations tout en dissociant le support – avec ses techniques propres et ses contraintes éventuelles (le medium) – de l’ image (l’abstraction) afin de souligner l’ inventivité des concepteurs d’ images des XI e -XII e siècles.
Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP
EXISTE-T-IL UNE MAISON ROMANE ?
La question, qui peut aussi se formuler en « Qu’est qu’une maison romane », conduit, au-delà des conventions d’acception du terme « roman », à se pencher sur les conditions du renouveau d’un habitat urbain architecturé, à partir du tournant de l’An Mil. Il convient d’abord de cerner un champ et ce sera celui de l’habitat urbain, bien que les formes rurales des maisons se rencontrent aussi dans les agglomérations, dans des proportions diverses. Cependant, ce sont les constructions en dur – les mieux connues – et secondairement en maçonnerie et bois, qui sont l’objet de cette approche : elles sont prioritairement connues en milieu urbain, ce qui pose la question des commanditaires. Elle prendra donc en compte les questions de matériaux mis en oeuvre, des vocabulaires architecturaux, types et programmes, pour essayer de caractériser la nouveauté : en quoi ces demeures se distinguent-elles de celles du haut Moyen Âge ? En somme, comment distingue-t-on leur apparence et leurs particularités, à partir d’approches techniques, formelles et fonctionnelles ? En conclusion seront abordées les questions de chronologie et d’espace : quelle est la durée des modèles de « maisons romanes » ainsi définis ? Dans quelles aires les rencontre-t-on ? Le phénomène sera alors envisagé pour l’ensemble de l’Europe.
Nicolas FAUCHERRE
LE CHÂTEAU ROMAN, MYTHES ET RÉALITÉS
La notion d’art roman s’applique-t-elle aux châteaux ? Pour y répondre, nous verrons successivement les mythes anciens et modernes que véhicule cette idée, puis les réalités induites par les nouvelles datations et interprétations des programmes fonctionnels, essentiellement pour les maîtresses tours ou donjons, puisqu’il semble bien qu’on ne puisse pas qualifier l’enceinte « romane » dans ses spécificités. Prosaïquement, l’âge du château roman se définit en creux, entre la floraison des mottes lors de l’enchâtellement de l’an Mil et la révolution de la défense active avec le château de Philippe Auguste des années 1200. Pour tout pouvoir qui veut s’ inscrire dans la durée de Charles V dressant de grosses tours résidences à contrefort à Vincennes pour dire l’ancienneté de sa dynastie contestée jusqu’à Soliman érigeant au XVIe siècle à Jérusalem une enceinte néo-saladine incapable de résister au canon mais clamant l’antériorité des musulmans sur les chrétiens dans la ville trois fois sainte -, se légitimer par la filiation aux temps romans constitue une force symbolique incontestable. Au-delà, le « château roman » fut longtemps la proie des mythes, celui du décalage d’un siècle avec l’architecture des églises romanes en pierre, celui du rôle défensif de la maîtresse tour, qui s’avère être d’abord résidentielle, celui pour nos régions des châteaux dits « cathares », alors que construits par le roi capétien après la conquête du Languedoc. Ainsi, grâce à la re-datation du donjon de Loches, ce sont tous les grands donjons quadrangulaires à contreforts qui tendent aujourd’hui à être redatés du XIe siècleet non du XIIe, même si la formule perdure très tard dans le bas Moyen Age (Pons, SaintÉmilion), et à être réinterprétés comme des palais. Ainsi des châteaux occitans d’avant la croisade albigeoise, mieux connus grâce à l’étude des castra de la montagne d’Alaric.
Élise BAILLIEUL
DU ROMAN AU GOTHIQUE, LES MONUMENTS DE LA PREMIÈRE GÉNÉRATION GOTHIQUE DANS LE DOMAINE ROYAL FRANÇAIS
La frontière entre architecture romane et gothique n’est pas si nette que le suggère la terminologie. L’architecture religieuse qui se développe dans le domaine royal français dans le deuxième quart du XIIe siècle témoigne parfaitement de cette ambivalence. Les tout premiers édifices qualifiés de gothiques, érigés dans entre 1130 et 1145 environ, sont en effet conçus par des hommes formés sur les chantiers romans. À travers une dizaine d’exemples, cet article examine les formes de cette architecture en plein renouvellement et pourtant souvent ancrée dans la tradition romane. Les propositions faites en matière de plan, de voûtement, d’élévation, de composition des supports, ou de décor sont observées sans a priori, qu’elles aient jouit d’une longue postérité ou au contraire été sans lendemain.