Andreas Hartmann-Virnich, Heike Hansen (Aix-Marseille Université, LA3M); Götz Echtenacher (architecte) : A la recherche du chœur perdu : Saint-Gilles-du-Gard et Montmajour
Le chevet de l’ancienne abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard, détruit au cours des guerres de Religion et démonté entre le XVIIe et le début du XIXe siècle, fut un des plus vastes et prestigieux chœurs à déambulatoire et chapelles rayonnantes du Sud de la France aux côtés de son proche voisin et aîné, la crypte de l’abbatiale de Montmajour près d’Arles. Elevé à partir du dernier tiers ou quart du XIIe siècle à la gloire du saint thaumaturge Gilles dont le pèlerinage était réputé jusqu’en Europe centrale, jamais terminé, l’ouvrage se présente aujourd’hui dans un état très arasé, à l’exception des élévations qui renferment la « vis de Saint-Gilles », chef d’œuvre de stéréotomie célèbre depuis la Renaissance. La restitution numérique de ce bel ensemble original, et la recherche de ses sources d’inspiration appellent un dialogue permanent, et proprement « constructif », entre l’archéologue du bâti, l’historien de l’art et l’architecte-infographe. Le relevé l’étude des vestiges du chœur de l’ancienne abbatiale, soutenus matériellement et institutionnellement par la DRAC Occitanie et la Ville de Saint-Gilles-du-Gard dans le cadre d’un projet collectif de recherche, ont permis de préciser la stratégie des bâtisseurs de la fin du XIIe siècle, et de compléter le plan et l’étude des fondations des chapelles rayonnantes suite au nettoyage du lit d’attente pour les besoins de la mise en valeur actuellement en cours. Le contraste entre les distorsions du plan de l’église supérieure, dues à la prise en compte de structures antérieures, et la régularité de l’hémicycle du chœur, souligne la conception de ce dernier comme un ouvrage spécifique. En effet, des problèmes de raccord et des changements de modénature semblent marquer la rencontre de deux chantiers de mise en œuvre simultanés et interdépendants. Les fondations furent construites de l’ouest à l’est par adossement successif des tronçons des fondations du mur-bahut absidal et du puissant stylobate demi-circulaire périphérique avec les fondations saillantes des piles engagées. De légères variations techniques dans les moitiés nord et sud suggèrent l’intervention de deux sous-équipes travaillant en même temps, un partage des tâches qui pourrait aussi s’expliquer par la plus grande profondeur des substructions en pierre de taille au sud. La fondation des chapelles rayonnantes, qui alternaient trois modules de grandeur différente, prenait en compte leur saillie inégale. Si la mise en place du plan définitif à la première assise des élévations, préparé par des traits gravés sur le lit d’attente des fondations saillantes, n’alla pas sans quelques ajustements, la très faible variation des dimensions des éléments homologues et la grande homogénéité des assises, de la modénature et des signes lapidaires dans l’ensemble de l’hémicycle accusent une conception et mise en œuvre rigoureuses, dont les sources d’inspiration restent difficiles à identifier : l’exemple antérieur de la crypte de l’abbatiale de Montmajour, celui du chevet de Saint-Sernin de Toulouse, et des analogies formelles et dimensionnelles avec le chevet du Saint-Sépulcre à Jérusalem, naguère mises en évidence par Christian Freigang, ne sont que trois indices au sein d’un faisceau complexe de références qui sont examinées en vue de la restitution 3D. La restauration des parements des élévations renfermant l’escalier en vis du chœur avec la mise en place d’un échafaudage intégral a rendu possible une nouvelle étude, accompagnée d’un relevé pierre-à-pierre manuel à haute définition d’une partie des élévations et d’un relevé des signes lapidaires encore lisibles. A partir de la mi-hauteur de l’oculus qui éclairait le collatéral du chœur, puis de manière systématique à hauteur des voûtes du collatéral, du déambulatoire et des chapelles, la mise en œuvre des maçonneries est rythmée par une alternance régulière de deux à trois modules d’assise rigoureusement standardisés. A ce stade du chantier les bâtisseurs eurent recours à des agrafes de fer forgé scellées au plomb, encastrées dans les pierres de parement de la cage de l’escalier pour compenser les poussées de la célèbre voûte hélicoïdale. D’autres crampons maintenaient les chapiteaux des colonnettes et pilastres. Quant au voûtement du collatéral et de la première chapelle attenante, l’étude a confirmé la modification du projet au profit de l’adoption de croisées d’ogives, sous la forme de puissantes moulures ornées à l’instar des ogives de la crypte qui furent elles aussi introduites dans un second temps en modifiant le programme monumental initial. Des traces d’un décor peint de date incertaine sur les chapiteaux et sur les restes de la voûte de la chapelle septentrionale rappellent celles identifiées sur le tympan du portail septentrional de la façade.