Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les découvertes archéologiques concernant les édifices religieux carolingiens ont permis de dégager les caractères de cette architecture, presque inconnue auparavant par manque de témoins et perçue, pour ce qu’on en connaissait, comme comme un reflet abâtardi des œuvres de l’Antiquité tardive. La présence de compléments architecturaux tels que les massifs occidentaux, les absides occidentales ou les cryptes hors-œuvre, ce, dès la fin du VIIIe siècle, a été justifiée par l’adoption de pratiques liturgiques nouvelles, développées sous Charlemagne, dans le cadre de son entreprise de renovatio.
La tentation a été grande de percevoir de même les constructions romanes similaires. Si une certaine continuité dans la disposition des espaces est indéniable entre des abbatiales comme celles Corvey-sur-Weser (v. 870) ou de Tournus (1020-1050), la comparaison entre ces deux édifices témoigne de leurs profondes différences tant dans l’organisation de l’espace liturgique que dans les techniques de construction. Dans les grandes abbatiales carolingiennes, notamment dans le précoce exemple de Saint-Riquier, le sanctuaire apparaît comme une construction intellectuelle destinée à recréer à l’aide de reliques une synthèse du monde chrétien dans l’espace comme dans le temps, à laquelle s’adapte la structure architecturale. L’abbatiale romane a certes hérité de ces plans complexes mais leur signification a évolué dans le cadre d’une réflexion architecturale renouvelée. Le Xe siècle, souvent méconnu, avec notamment la naissance et le développement de Cluny apparaît comme un acteur majeur de cette importante mutation. Les découvertes ou relectures archéologiques et les nouvelles approches archéométriques, bases de datations et de chronologies mieux fondées, ont permis de préciser changements et filiations, qui ne résultent pas seulement d’une évolution, que l’on a cru continue, « des styles ».
Christian Sapin, directeur de recherche émérite au CNRS
François Héber-Suffrin, université de Nanterre