Marie-Pierre Bonetti (Aix-Marseille Université, LA3M) Entre innovation et tradition, deux siècles d’architecture romane à Saint-Victor de Marseille
Noyée dans le tissu urbain depuis le XIXe siècle, la basilique Saint-Victor est réputée pour abriter les reliques de martyrs marseillais ainsi qu’une « Vierge noire », particulièrement vénérée par les fidèles lors du pèlerinage annuel de la Chandeleur. L’édifice reste toutefois méconnu des touristes qui s’y rendent surtout pour visiter les cryptes paléochrétiennes. Pourtant l’église actuelle est l’unique vestige de la grande abbaye médiévale dont les ramifications s’étendaient par-delà la Provence, de l’Espagne à la Sardaigne. Autrefois bordé de campagnes et de vignes, le monastère qui s’est implanté sur les pentes rocheuses au Sud du port, connaît son apogée au milieu du XIe siècle puis un certain recul. L’éloignement de la ville et de ses activités commerciales entraîne des ralentissements dans la construction de l’église abbatiale aux XIIe -XIIIe siècles ; d’autant que celle-ci nécessite un profond réaménagement du site paléochrétien où s’était établie la première communauté monastique. Plus tard au XIVe siècle, l’église et l’enceinte du monastère sont fortifiées bénéficiant alors des largesses du pape Urbain V, ancien abbé de Saint-Victor. À sa mort, l’abbaye sombre progressivement dans un délabrement architectural lié au déclin spirituel. L’ultime coup de grâce est porté avec la démolition totale de l’enceinte et des bâtiments claustraux à l’époque révolutionnaire, dont l’abbatiale sort miraculeusement indemne. De cette histoire complexe très brièvement esquissée résulte la lecture difficile de l’édifice, restauré à plusieurs reprises au cours des siècles derniers. Cependant, les données recueillies grâce à l’étude archéologique du bâti montrent que le monument conserve les traces de deux siècles d’architecture romane où se mêlent innovation et tradition locale. À partir de l’analyse des élévations et de leurs décors sculptés ou peints, cette communication proposera d’évaluer la persistance de l’art roman à Saint-Victor, face aux influences proto-gothiques apparues en Provence, entre le milieu du XIIe et le dernier tiers du XIIIe siècle.