sommaire

Christian SAPIN

DE LA COUR AU CLOÎTRE CAROLINGIEN

Le cloître à galeries couvertes, bien connu dans l’architecture des monastères, ne s’est pas imposé d’emblée et procède sans doute de plusieurs origines. Les dernières recherches archéologiques en Europe permettent de retenir des vestiges de dispositifs conduisant de la cour à portiques vers un espace clos répondant à des exigences fonctionnelles et religieuses précises. Il s’agit de tenter de cerner les étapes de cette « invention » et de mieux comprendre les raisons d’une création proprement carolingienne autour des années 800, à travers les sources et plusieurs exemples de fouilles archéologiques, pour certaines récentes et inédites en France, qui éclairent l’organisation des bâtiments de la vie commune des moines.


 

Elizabeth VALDEZ DEL ÁLAMO

LE CLOÎTRE, LIEU DE RÉSONANCES DE LA VIE MONASTIQUE

Le cloître est le coeur même d’un monastère. Sa place centrale permet de circuler d’un bâtiment à l’autre. Cette contribution étudie les multiples usages du cloître comme lieu privilégié du monastère prenant pour exemples Santo Domingo de Silos, Saint-Pierre de Moissac, abbayes bénédictines, et les galeries romanes de l’ancienne cathédrale de Saint-Trophime à Arles, où vivaient les chanoines. L’analyse s’appuie sur le coutumier de Bernard de Cluny, Consuetudines Coenobii Cluniacensis, rédigé aux alentours de 1085. Loin d’être un pur lieu de passage, c’est un espace de réflexion, d’enseignement. C’est aussi un lieu d’activités domestiques. Son décor exprime l’idéal de la vie monastique.


Immaculada LORÉS OTZET

SCULPTURES, EMPLACEMENTS ET FONCTIONS DES CLOÎTRES ROMANS EN CATALOGNE

Au cours de ces dernières années, les études de la sculpture des cloîtres romans ont exploré l’analyse de l’iconographie prenant en compte leur contexte : l’espace concret dans chaque cas. Dans le cloître, cela implique d’évaluer jusqu’ à quel point la liturgie et la vie quotidienne qui avaient lieu dans chacune des galeries et dans chacun des espaces adjacents permettent d’expliquer la disposition des cycles et des images. On peut en dire autant des circulations entre différents points du monastère, de la canoniale ou de la cathédrale, des processions qui passaient par le cloître ou des portes d’accès à certaines dépendances, notamment l’église et la salle capitulaire. Dans le cas des cloîtres romans catalans, ce type d’approche est non seulement réalisable, mais aussi convenable compte tenu du nombre important d’ensembles conservés et non dispersés. La variété des solutions est observée, indiquant un degré élevé de décisions particulières dans le choix des images. Une analyse méthodique au cas par cas et sans forcer les interprétations est ainsi possible.


Carlo TOSCO

L’ARCHITECTURE DES CLOÎTRES DANS L’ITALIE DU NORD (XIe-XIIe SIÈCLES)

L’architecture des cloîtres se prête à des recherches typologiques et comparatives. Ce travail a pour but de dresser un cadre général des cloîtres présents dans l’Italie du Nord, dans la zone géographique traditionnellement attribuée à l’architecture lombarde. Au XIe siècle les cloîtres présentent un développement encore limité dans le cadre des implantations monastiques. Il s’agit, en général, de cours quadrangulaires, souvent au tracé irrégulier, situées à côté des églises. L’emplacement sur l’axe de celles-ci est aussi constaté, même si cela est rare. Au début du XIIe siècle on assiste à un grand développement monumental des cloîtres, qui assument une structure géométrique régulière et une configuration uniforme dans les supports et dans les décorations. Les acteurs principaux de cette phase sont les chapitres des cathédrales, qui assument une grande importance dans le cadre des villes italiennes, à l’époque de l’affirmation des Communes. Lors du deuxième quart du XIIe siècle, on voit apparaître les premiers cloîtres présentant un riche groupe de chapiteaux historiés, avec des cycles figuratifs qui illustrent des narrations bibliques ou hagiographiques. Pendant le XIIe siècle se répandent progressivement les fonctions funéraires des cloîtres, qui connaîtront un essor remarquable au cours de la période gothique.


Yoan MATTALIA

« SICUT MILITES IN PRELIO ET QUASI MONACHI IN DOMO ». CLOÎTRE ET CLÔTURE MONASTIQUE
DANS LES ÉTABLISSEMENTS DES ORDRES RELIGIEUX MILITAIRES AUX XIIe ET XIIIe SIÈCLES

Le cloître est difficilement perceptible parmi les espaces monastiques qui composent la domus occidentale des ordres religieux militaires du Temple et de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem aux XIIe et XIIIe siècles. Pour autant, au même titre que l’édifice ecclésial de ces petites communautés régulières, il participe pleinement de la matérialisation du paradigme identitaire du monachisme militaire. Il s’agit ici de proposer un bilan à partir d’études récentes et de questionner la notion de clôture monastique dans les maisons templières et hospitalières, la topographie et l’architecture de l’espace claustral de ces établissements religieux ruraux et urbains, ainsi que de réfléchir aux fonctions, notamment funéraires, qui ont pu lui être attribuées.


Carles SÁNCHEZ MÁRQUEZ

FÊTE, MUSIQUE ET AMOUR COURTOIS DANS LE CLOÎTRE CATALAN : SANTA MARIA DE L’ESTANY ET L’HÉRITAGE OCCITAN

Le cloître singulier de Santa Maria de l’Estany (Barcelone) présente un riche répertoire iconographique dans lequel sont cités presque tous les thèmes profanes de l’imaginaire médiéval : histoire d’amour et de chevalerie, fêtes musicales, fragments de fables, jongleurs et une série consacrée à la vie quotidienne. Ces images font partie de l’imagerie profane qui s’est répandue autour de la Méditerranée sous le règne de Jacques Ier le Conquérant (1213-1276) et qui a envahi aussi bien l’espace sacré que profane. Ainsi, les oeuvres d’art qui présentent la même thématique et qui apparaissent à plusieurs reprises dans la couronne d’Aragon, comme le cloître de l’Estany, le plafond de la cathédrale de Teruel, le Vidal Mayor où les cycles peints qui décoraient les intérieurs de la noblesse de Barcelone et de Montpellier semblent le confirmer.


Anabel MORENO
Gerardo BOTO VARELA

EXPÉRIENCES DE CONSTRUCTION ET DE VOÛTEMENT DES CLOÎTRES ROMANS AU NORD DE LA CATALOGNE*

Dans le nord-est de la Catalogne, se concentre une série de cloîtres de la fin du XIIe siècle dont les galeries sont couvertes avec des voûtes, en berceau et en demi-berceau. Le voûtement claustral a été développé assez tôt dans le « cloître bas » de Sant Pere de Rodes, mais sa solution spécifique ne se trouve pas dans la genèse des voûtes tardo-romanes, parmi lesquelles il faut inclure celles de Sant Quirze de Colera et de Sant Pere de Galligants, centre diffuseur pour d’autres bâtiments de Gérone. Les antécédents des voûtes de cloîtres catalans semblent se trouver dans la zone provençale, où l’utilisation de la voûte en berceau, rampant ou brisé, avec doubleaux a été généralisée, et ce, depuis la moitié du XIIe siècle jusque bien au-delà du début du XIIIe. La décision d’installer une voûte sur des galeries implique un calcul de la résistance nécessaire. Dans l’évaluation de la capacité de charge des piliers et des colonnes, on a aussi pris en compte la fiabilité du matériau employé, qui, au coeur de Gérone, était toujours le calcaire nummulitique. La séquence constructive reflète bien la recherche d’une limite de résistance matérielle. D’un autre côté, le choix de voûter les galeries claustrales, en réalité rare statistiquement parlant, invite à réfléchir sur ce qu’il faut entendre par cloître roman et sur les caractéristiques qui le déterminent.


Daniela MONDINI

LES CLOÎTRES DES COSMATI : MARBRE, MOSAÏQUE ET PAROLE

À Rome, au début du XIIIe siècle, deux cloîtres somptueux ont été construits, probablement en concurrence l’un avec l’autre. Marbre blanc, incrustations polychromes et mosaïque dorée étaient devenus dans le courant des XIIe et XIIIe siècles les emblèmes d’une esthétique « pontificale » spécifique à Rome et aux États de l’Église. Cette communication traite trois aspects: en premier lieu l’absence, au XIIe siècle, de sculpture figurative et de décor dans les cloîtres romains, ensuite le passage soudain d’une tradition de cloîtres à décor simple à l’éclat décoratif dans l’abbaye bénédictine de Saint-Paul-hors-les-Murs et à Saint-Jeande- Latran, la cathédrale de Rome. Enfin, l’attention sera portée sur le rôle de l’épigraphie de ces deux « architectures parlantes » et la rhétorique de la splendeur comparée à la vie monastique selon la Règle, rhétorique qu’on retrouve dans les deux inscriptions monumentales qui y figurent et qui semblent répondre l’une à l’autre.


John McNEILL

LA REDÉCOUVERTE DU CLOÎTRE ROMAN EN ANGLETERRE. TOPOGRAPHIE, ICONOGRAPHIE, CHRONOLOGIE

À l’exception d’une seule, toutes les cathédrales médiévales d’Angleterre ont été soit fondées soit complètement reconstruites entre 1070 et 1140 environ. L’importance de ces reconstructions pour l’architecture romane anglaise ne peut pas être exagérée. Dans une perspective européenne, l’aspect qui distingue le plus les cathédrales romanes anglaises est le nombre de celles qui étaient monastiques. Sur quinze des diocèses pourvus d’une seule cathédrale, sept voyaient celle-ci être le siège d’une communauté bénédictine. Deux diocèses qui possédaient des co-cathédrales étaient pourvus chacun d’une cathédrale monastique et d’une cathédrale séculière (collégiale). Les cathédrales monastiques ont été beaucoup plus nombreuses après la conquête normande de 1066 qu’auparavant, et le développement de la cathédrale monastique a été certainement dû à Lanfranc, archevêque de Cantorbéry de 1070 à sa mort en 1089. Cette communication vise à examiner le statut, la conception et l’architecture de la cathédrale monastique en Angleterre au cours du onzième siècle.


Claire BONNOTTE

LA FIGURATION DE L’APPARITION DU CHRIST À EMMAÜS AU SEIN DES CLOÎTRES ROMANS : UN SUBSTITUT DE PÈLERINAGE ?

L’iconographie de l’apparition du Christ à Emmaüs (Lc. 24, 13-35) se décline dans le décor sculpté de plusieurs cloîtres des XIIe-XIIIe siècles. Parmi les occurrences conservées pour la période figurent de nombreux chapiteaux historiés, dont une majorité proviennent d’abbayes  implantées au sud de la Loire. L’image revêtait une signification particulière dans le contexte claustral, en raison de la mise en exergue de la figure du Christ pèlerin, qui lui était généralement associée. Dans cet espace, l’iconographie pouvait apparaître comme un dérivatif, ou un substitut à la pratique réelle du pèlerinage, fortement déconseillée, si ce n’est interdite, pour tous ceux qui étaient soumis à la « stabilité » de la clôture. À l’appui de sources textuelles, et de l’analyse d’un certain nombre d’exemples, il convient de saisir dans quelle mesure cette théophanie a pu constituer une invitation au pèlerinage spirituel pour les moines et les chanoines.


Charlotte de CHARETTE

LA DIFFUSION DE L’ART DE SILOS DANS LES CLOÎTRES DU NORD DE L’ESPAGNE

Dans le dernier tiers du XIIe siècle, la sculpture romane espagnole connaît un renouvellement de grande ampleur qui aboutit à la création de véritables chefs-d’oeuvre et suscite une production d’une exceptionnelle fécondité. Au monastère de Silos eurent lieu à cette époque d’importantes transformations, au cours desquelles intervint un des plus grands sculpteurs de la période : le Second Maître de Silos. Celui-ci fut l’inspirateur d’un vaste courant de sculptures qui envahit tout le nord de l’Espagne, à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. La prospérité que connaît alors le pays, liée à des circonstances politiques et économiques favorables, entraîne en effet un développement considérable de l’activité architecturale. Cette propagation de l’art de Silos est en grande partie due au succès de ses modèles iconographiques. Un grand nombre de sculpteurs de la fin de la période romane, qui conservent un souvenir plus ou moins fort des innovations stylistiques apportées par le Second Maître de Silos, utilisent en effet un répertoire constitué principalement de formules iconographiques venues de l’abbaye de Silos. Dans cette abondante production figurent plusieurs cloîtres, ou vestiges de bâtiments claustraux, qui reçoivent et assimilent les modèles élaborés à Silos.


Pascale BOURGAIN

UN JARDIN AU COEUR DU CLOÎTRE : FONCTION, IMAGES, IMAGINAIRE

Le cloître, mot qui signifie à l’origine une prison, a été extraordinairement valorisé par la vie monastique qui a fait de cet enfermement un choix de vie, un lieu considéré comme l’équivalent du paradis, donc d’un jardin. Les cloîtres véritables, cours aménagées près de l’église pour rassembler les lieux des différentes fonctions monastiques, ont fini par ressembler à des jardins, lieux plaisants favorables au calme et au recueillement, sans préjudice des jardins vivriers également inclus dans la clôture ; on les a munis symboliquement de ce qui pouvait les faire encore mieux ressembler au paradis : une fontaine, de l’herbe, des plantes, bientôt des fleurs, cependant qu’à la fin du Moyen Âge l’effort du jardinage recevait lui aussi sa charge significative en représentant l’effort à accomplir pour cultiver les vertus.


Daniel CAZES

DEVENIRS DU CLOÎTRE ROMAN : LES CLOÎTRES CISTERCIENS MÉRIDIONAUX

Il est habituel de dire que les cloîtres des abbayes cisterciennes du Midi, comme ceux des autres régions d’Europe, révèlent un appauvrissement volontaire, sinon une véritable censure, du luxe architectural et du décor sculpté des cloîtres pleinement romans élevés du XIIe au XIIIe siècles. En fait, cela doit être quelque peu nuancé, notamment lorsque l’on s’éloigne de la vision souvent dominante, dans le tourisme, la littérature et la culture générale de notre temps, du Midi cistercien des « trois soeurs provençales » : Le Thoronet, Sénanque et Silvacane. Cela se perçoit en observant les cas d’un certain nombre de cloîtres de grands monastères cisterciens « hispano-languedociens » des XIIe et XIIIe siècles complètement ou partiellement détruits, ou encore conservés. Les caractères de ces cloîtres, des deux côtés des Pyrénées, résultent autant d’une adaptation aux pratiques des maîtres d’oeuvre et sculpteurs locaux, même s’ils furent aussi moines blancs, que du strict respect d’un modèle cistercien qui aurait été imposé depuis la Bourgogne ou la Champagne.


Gerardo BOTO VARELA

DU CLOÎTRE ROMAN AU CLOÎTRE ROMANTIQUE : DÉMONTAGES, RECONSTRUCTIONS ET INVENTIONS EN PÉNINSULE IBÉRIQUE (XVIIIe, XIXe ET XXe SIÈCLES)

Dans une résidence d’été des Pyrénées de Gérone (Voralter, Camprodon), entre 1952 et 1956, un quadrilatère d’arcades en plein cintre a été monté, avec des chapiteaux romans originaux insérés entre des claveaux, des colonnes ou des bases modernes. Voici ce qui était annoncé dans l’édition de janvier 1957 du magazine Arte y Hogar : « Voralter, une maison dans les Pyrénées catalanes, qui a accueilli un cloître roman authentique ». Le propriétaire, un médecin célèbre de Barcelone, avait en fait monté un minuscule « cloître » dans le goût romantique, sans justification historique, un cloître qu’aucun chercheur n’a encore pu étudier. Sur une autre résidence catalane de la Costa Brava (Mas del Vent, Palamós) se trouve une reconstruction des galeries d’un cloître roman. Cet ensemble a été présenté dans le magazine A & D (éd. France), en juillet 2010, avec la légende : « Le cloître roman acheté à Madrid pour le grand-père a été remonté par ses soins dans le parc de La Fosca ». Pour que les chercheurs puissent arriver à le connaître et à l’examiner, il a fallu surmonter divers obstacles. Durant ces dernières années, cet ensemble a produit un certain impact dans les médias et a été l’objet d’interprétations contradictoires, lors de colloques et déclarations, ou dans des rapports publics ou confidentiels. À Salamanque, à Burgo de Osma ou à Noia, on a aussi remonté des segments de galeries de cloîtres romans, selon un goût romantique et éclectique. C’étaient comme des versions espagnoles d’initiatives américaines, réalisées sur la côte est des États-Unis et en Californie. Les nationalisations d’anciens monastères, intervenues au XIXe siècle, sont à l’origine de ces opérations, ainsi que le commerce international des oeuvres d’art médiévales.


Olivier POISSON

LE CLOÎTRE DE SAINT-MICHEL DE CUXA ET SES RECONSTRUCTIONS AU 20e SIÈCLE

En 1907 et 1913, l’acquisition par le sculpteur et collectionneur américain George Grey Barnard de la moitié (environ) des chapiteaux du cloître de Saint-Michel de Cuxa – alors complètement démantelé – a constitué un événement dont les conséquences se sont fait sentir tout au long du XXe siècle. D’une part, l’acquisition, faite on ne peut plus légalement auprès de propriétaires vendeurs, est portée par une vision artistique américaine ambitieuse, porteuse d’un projet culturel de mise à disposition de l’art de l’Europe auprès des artistes et du public américains, pour le bien de tous, qui se réalisera. D’autre part, cette affaire, qui joue un rôle évident dans la maturation de la loi française sur les Monuments historiques adoptée en décembre 1913, voit parallèlement les réactions d’une société locale vis-à-vis de son patrimoine et est l’occasion d’une bataille d’opinion devant laquelle l’acquéreur est en partie obligé de lâcher prise. Ensuite, le succès de la reconstruction du cloître de Cuxa à New York (1914 puis 1938) entraîne la reconstruction symétrique en 1950, sur place, de ce qui peut l’être, dans ce qui peut être considéré comme une concurrence symbolique dont les valeurs portées par le patrimoine seraient l’enjeu.

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