Christian SAPIN, CNRS Dijon-Auxerre
Marc SUREDA I JUBANY, Museu Episcopal de Vic1
CUXA ET CLUNY II, GENÈSE DES ESPACES RELIGIEUX SOUS OLIBA ET ODILON
L’église abbatiale de Saint-Michel de Cuxa dédicacée en 975 et toujours existante et celle de Saint-Pierre-Saint-Paul de Cluny consacrée en 981 et aujourd’hui disparue (conventionnellement appelée Cluny II) sont reconnues, chacune dans son contexte, comme deux monuments majeurs de l’architecture religieuse du haut Moyen Âge occidental. La comparaison entre ces deux édifices a déjà été entreprise à certaines occasions, avec plus ou moins de détail ; cependant, moins d’attention a été portée à la comparaison entre deux personnages qui ont gouverné ces abbayes pendant la première moitié du XIe siècle, Odilon de Mercoeur (961-1049) et Oliba de Cerdagne (971-1046), assurément marquants eux aussi, et entre les remarquables modifications que chacun d’eux entreprit dans les églises abbatiales respectives. L’analyse des deux monuments sous cet angle, notamment à partir des résultats des dernières fouilles à Cluny, révèle des points en commun qui contribuent à éclairer leur position dans le contexte de l’architecture de l’époque et aussi, peut être, la poursuite d’une histoire de rapports initiée dans le siècle antérieur.
Stéphane BERHAULT, Architecte du patrimoine
LA CATHÉDRALE D’ELNE, DE L’ÉTUDE AU CHANTIER. ÉTUDES, CONFIRMATIONS ET DÉCOUVERTES
À la demande de la commune, propriétaire de l’édifice, une étude préalable à sa restauration a été confiée à l’agence AEDIFICIO de Stéphane Berhault, architecte du patrimoine. À la suite, une première phase de travaux s’est déroulée de 2016 à 2018. L’étude a offert un spectre très large de prestations permettant d’apprécier dans la globalité l’édifice. Le chantier s’est révélé comme le prolongement logique de la partie analytique et de la réflexion. Trop souvent considéré comme un simple moment d’exécution, il reste le lieu majeur des observations. Du côté de l’architecte du patrimoine, il est nécessaire qu’il réfléchisse en tant que « bâtisseur ». L’analyse constructive est alors déterminante car elle permet de distinguer les étapes des chantiers. Il est nécessaire également de documenter puis de comparer. Comme dans toutes les sciences, la limitation du corpus est le point faible pouvant aboutir à des idées ou à des rapprochements trop évidents voire sclérosants. La cathédrale Sainte-Eulalie d’Elne a bénéficié d’une étude qui a entrepris de vouloir la « révéler » pour mieux appréhender la richesse d’une longue vie, sans réduction ni banalisation. À son tour, grâce à cette étude, elle permettra d’éclairer la compréhension d’autres édifices et elle prendra alors la place qu’elle mérite dans l’histoire de la construction médiévale.
Xavier BARRAL I ALTET, Université de Rennes, Université de Venise Cà Foscari
« HARDI COMME LE LION ET LUXURIEUX COMME LE PORC ». À PROPOS D’UNE SCÈNE NON REMARQUÉE D’UN CHAPITEAU DU CLOÎTRE DE SAINT-MICHEL-DE-CUXA
Un chapiteau du célèbre cloître de Saint-Michel-de-Cuxa, datable vers 1140, représente des lions à double corps et tête unique placée sous les volutes d’angle qui attaquent une truie docile et montrent ostensiblement la vulve de leur proie. À l’époque romane, il était habituel de représenter dans les églises des hommes ou des femmes nues et des animaux exhibitionnistes. Images licencieuses pleines d’ironie qui se réfèrent à l’acte sexuel ou qui sont tout simplement exhibitionnistes. De nombreux exemples sont cités dans l’article afin d’encadrer culturellement l’image du cloître de Cuxa. Celle-ci peut être expliquée en lisant dans le Secretum secretorum que l’homme est « hardi comme le lion et luxurieux comme le porc ».
Michel MARTZLUFF, UMR 7194 : Muséum National d’Histoire Naturelle-Université de Perpignan-Via Domitia
Cécile RESPAUT, Contractuelle Inrap ; Association Archéologique des Pyrénées-Orientales
REGARD SUR LES SCHISTES OUVRAGÉS DANS L’ART ROMAN DES PYRÉNÉES CATALANES
Les schistes métamorphiques primaires forment de vastes territoires à l’est des Pyrénées. Ces roches feuilletées se prêtent très mal aux processus de façonnage réservés aux parements. Cependant, ces schistes furent parfois traités comme des pierres de taille, assemblés en assises normalisées, polis au ciseau et quelquefois sculptés. Une architecture romane réalisée en schiste ouvragé associée à la sculpture des marbres s’est développée de façon spectaculaire au XIIe siècle dans les établissements monastiques de Sant Quirc de Colera, Sant Pere de Rodes, Serrabona et Marcèvol, puis s’est propagée dans une dizaine d’églises paroissiales remarquables, pour s’étioler au début du XIVe siècle. L’emplacement de ces schistes « ciselés » dans les élévations permet de proposer une lecture archéologique qui s’écarte parfois du consensus concernant l’évolution architecturale d’édifices très connus et d’autres qui le sont beaucoup moins. D’autre part, cette étude conduit à s’interroger sur les choix que firent les bâtisseurs.
Emmanuel GARLAND, Docteur en histoire de l’art
LA PEINTURE ROMANE EN ROUSSILLON. UN BILAN CONTRASTÉ
Depuis les premières « Journées Romanes de Cuxa » consacrées à la peinture dans les pays catalans, en 1973, les travaux de recherche accomplis et la réflexion menée sur ce sujet ont permis de nombreuses avancées, et ce malgré l’absence de découverte majeure. Un constat s’impose, qui limite considérablement nos possibilités de progression : les ensembles conservés ne représentent qu’une faible proportion de ce qui a été réalisé aux XIIe et XIIIe siècles. Ils sont géographiquement inégalement répartis, et ceux que l’on peut supposer avoir été les plus aboutis ont tous disparu. Il devient dès lors quasi impossible de déterminer avec précision la place que le Roussillon a tenue dans la formation et l’épanouissement de la peinture romane (murale ou sur bois) à l’échelle régionale, d’autant qu’on manque encore plus cruellement d’information sur la peinture romane dans les régions nord-pyrénéennes avoisinantes. Bien qu’on ne puisse se prononcer sur son éventuel rôle moteur, ce que l’on peut encore admirer aujourd’hui montre que le Roussillon s’inscrit catégoriquement et pleinement dans l’aire catalo-pyrénéenne, et que les échanges et les influences (dans les deux sens) sont particulièrement importants et féconds au sein de ce vaste espace. Et cela, grâce au Segre qui, en reliant la Cerdagne à la Seu d’Urgell, s’avère au moins aussi important pour ces échanges que celui joué par la Via Domitia.
Juan Antonio OLAÑETA MOLINA, Universitat de Barcelona / Universitat de Lleida
LES CARACTÉRISTIQUES ICONOGRAPHIQUES DES REPRÉSENTATIONS DE DANIEL DANS LA FOSSE AUX LIONS DANS LA SCULPTURE ROMANE DES RÉGIONS DU SINUS LEONIS
La distribution, les caractéristiques et les modèles iconographiques des représentations de Daniel dans la fosse aux lions dans la sculpture romane dans les régions autour du golfe de León sont analysés. Un chapiteau de Saint-Sernin de Toulouse est le chef de file d’un modèle iconographique utilisé à Moissac et dans d’autres édifices (Notre-Dame de la Daurade à Toulouse, Lombers et Lescure d’Albigeois) et qui s’étend à l’Aquitanie et même au nord de la péninsule ibérique. Ce modèle, ne montre pas le prophète en position de prière, mais adoptant l’attitude du Christ triomphant. Sont étudiées aussi d’autres représentations qui suivent d’autres modèles, telles que la chapelle Saint Gabriel (Tarascon), Pernes-les-Fontaines Saint-Guilhem-le-Désert, Saint-Papoul, Varen, Saint-Antonin-NobleVal, Saint-Pons-de-Thomières et Arles.
Marcello ANGHEBEN, Université de Poitiers, CESCM
EUCHARISTIE, COMMÉMORATION, ADORATION ET DÉVOTION : LA CRUCIFIXION DANS LA PEINTURE ROMANE DE CATALOGNE ET DU NORD DES PYRÉNÉES
Les églises de Catalogne et du nord des Pyrénées comportent dix-sept Crucifixions peintes entre la fin du XIe et le XIIIe siècle. L’article aborde les différentes fonctions et significations qui ont pu leur être affectées, en commençant par leur dimension liturgique suggéré par leur emplacement et plusieurs indices iconographiques. Les plus significatifs émanent du programme de Sant Pere de Sorpe où un ange diacre encense le Crucifié au-dessus d’une armoire liturgique pratiquée dans la paroi, flanquée de deux calices peints. Cet ensemble suggère par ailleurs la présence d’un autel aux deux-tiers de la nef et permet ainsi d’envisager un tel dispositif dans Sant Joan de Caselles, Cervià de Ter, Estaon et Saint-André-deSorède. Le thème peut également être rattaché aux différentes commémorations de la Passion accomplie à l’occasion de chaque messe et durant la semaine sainte lorsqu’il s’intègre dans un cycle narratif, comme à Montgauch et Sant Tomàs de Fluvià. À Cervià de Ter, la présence de six anges inclinés et tendant leurs mains vers le Sauveur font probablement écho au rituel de l’adoration du Vendredi saint et sans doute à ceux de l’Invention et de l’Exaltation de la croix. Enfin, toutes les oeuvres du corpus ont pu servir de support visuel à la dévotion personnelle, en particulier à Ourjout où le Christ exprime ses souffrances et à Sorpe et Estaon où les témoins expriment le nouveau sentiment d’empathie qui s’est développé sur le continent au cours du XIe siècle après son émergence beaucoup plus précoce au sein du monde anglo-saxon. La Crucifixion mêlant stuc et peinture de Sant Joan de Caselles semble résumer l’ensemble de ces significations tout en mettant l’accent sur sa dimension cultuelle puisqu’il semble faire écho au crucifix miraculeux de Beyrouth ou
au Volto Santo de Lucques.
Andreas HARTMANN-VIRNICH, Professeur, Aix Marseille Université, CNRS, LA3M, Aix-en-Provence, France
Nelly POUSTHOMIS-DALLE, Professeure, Université de Toulouse-Jean Jaurès, Laboratoire TRACES UMR 5608, France
Christian MARKIEWICZ, Membre associé, Aix Marseille Université, CNRS, LA3M, Aix-en-Provence, France
Heike HANSEN, Membre associé, Aix Marseille Université, CNRS, LA3M, Aix-en-Provence, France
L’ÉGLISE ABBATIALE DE LAGRASSE À L’ÉPOQUE ROMANE : UN BILAN
De 2007 à 2011 un projet collectif de recherche interuniversitaire a entrepris le relevé et l’étude archéologique, historique, archivistique et artistique de l’abbaye de Lagrasse, en enrichissant substantiellement la connaissance du monument pour être en mesure de proposer une nouvelle restitution et datation de ses états successifs, dont ceux de l’église abbatiale. Si sa reconfiguration gothique en a profondément changé l’architecture, l’abbatiale de Lagrasse conserve d’importants éléments ou vestiges de son état du premier âge roman qui résultait sans doute à son tour de la modification substantielle d’une église antérieure, soit préromane, soit carolingienne : c’est vers le second quart ou milieu du XIe siècle que cet édifice du haut Moyen Age dont les traces font encore défaut fut mis au goût du jour par la réfection au moins partielle des murs gouttereaux, dotés de portes et de fenêtres et ouvrant par de larges et hautes arcades sur deux bras d’un transept fortement saillant. Non alignés, désaxés et inégalement dimensionnés mais tout de même symétriques, ces bras étaient dotés chacun d’un triplet d’absidioles rythmé par le surdimensionnement de l’absidiole centrale. Sous cette forme dans son état du second quart ou tiers du XIe siècle, complétée au nord par la présence d’une tour préromane, l’abbatiale de Lagrasse n’était pas sans analogies avec celle de Cuxa, dont l’histoire est liée à celle de Lagrasse, et avec celle de l’abbatiale de Ripoll qui était alors placée sous l’autorité du même Oliba, abbé bâtisseur dont les travaux à Cuxa comme à Ripoll procédaient sans doute d’une même volonté d’actualiser l’héritage architectural selon le répertoire formel, les modes de construction et les conceptions liturgiques de l’époque. En outre, les fouilles conduites dans le cadre d’un second projet collectif de recherche ont mis au jour les vestiges du projet d’un grand chevet gothique polygonal à chapelles rayonnantes qui fut abandonné et démonté pour faire place à la construction du modeste chevet carré de l’église actuelle, vers le début du XIVe siècle : ce grand chevet avorté amorçait-il le projet d’une nouvelle église gothique dont la mise en oeuvre fut empêchée par un contexte politique et économique défavorable ? L’église du premier et du début du second millénaire aurait, dans ce cas, échappé à une destruction complète, et ses transformations auraient ainsi contribué en fin de compte à sa préservation.
Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP, Laboratoire TRACES, Université Toulouse, Société Française d’Archéologie
L’ARCHITECTURE CIVILE ROMANE EN ITALIE DU NORD XIE – XIVE SIÈCLE
Un portrait de l’architecture civile romane de l’Italie du nord, des Alpes aux Apennins et de la Méditerranée à l’Adriatique, n’a jamais été proposé. Il sera tenté ici en centrant le propos sur la vaste plaine centrale, puis en traitant, par comparaison et plus succinctement, des deux aires qui l’encadrent : la Ligurie et la Vénétie présentent en effet des traits spécifiques. Un des caractères les plus marquants de cette vaste zone est d’opposer des aires utilisant très majoritairement la pierre à celles qui mettent en oeuvre, de façon tout aussi prégnante, la brique. Les architectures qui en résultèrent seront décrites à partir de villes clefs, tant par l’importance des corpus d’édifices conservés, que du fait des publications, très inégalement disponibles. Pour autant, sera également prise en compte la multitude des petites agglomérations qui témoignent de l’intensité de l’urbanisation en Italie du Nord durant le Moyen Âge central, et de la diffusion des modèles architecturaux urbains jusque dans les vallées les plus reculées. De ce tableau ressortent quelques traits forts. D’abord, en dépit de ces particularismes et de l’opposition des matériaux, il apparaît que les grands types architecturaux (case a schiera, torri, case-torri, palazzi con corte, etc.), et les programmes afférents, sont communs à toutes les aires, avec une exception marquante, Venise. Ensuite, il appert que la terminologie usuelle qui oppose architecture « romane et « gothique », dont on connaît les limites et le caractère conventionnel, est très peu opérante en Italie du Nord ; les traits « romans » y perdurent en effet jusqu’en plein XIVe siècle parfois. Une autre grille de lecture s’impose donc, celle de la pérennité des faciès et du langage architectural propre à certains villes et à leur contado ; ils résistèrent tant à l’importation du vocabulaire du gothique septentrional, qu’aux propositions de retour à l’antique avancées par la « Renaissance ». C’est qu’ils définissaient en effet des identités fortes, constitutives de l’Être de chaque société étudiée.