Yves ESQUIEU
La cathédrale romane, ses fonctions, sa place dans la cité

Brigitte BOISSAVIT-CAMUS, Christian SAPIN
De la cathédrale paléochrétienne à la cathédrale romane

RÉSUMÉ
L’ecclesia est en Gaule une architecture de la Foi triomphante. Le nombre des églises du siège épiscopal ne permet pas toujours d’identifier la cathédrale principale. Les édifices, de type basilical, ont été adaptés aux évolutions architecturales, liturgiques et topographiques, mais les transformations mérovingiennes sont encore mal connues. Entre la fin du VIIIe et le XIe s., on assiste par la suite en Europe à la reconstruction de la plupart des anciennes cathédrales. En Gaule, l’archéologie des grands sites épiscopaux a pu mettre en évidence certaines de ces étapes manifestées par des transformations intérieures liées à la liturgie ou des changements plus structurels. Les progrès des études de bâti ont plus encore permis de retrouver des phases de constructions jusqu’alors ignorées qui définissent clairement les processus qui ont engendré le troisième grand renouvellement des cathédrales au XIIe s.


Claude ANDRAULT-SCHMITT
D’Angoulême à Poitiers, la voûte en majesté pour l’évêque (1110-1167)

RÉSUMÉ
Ce thème est né d’une réflexion sur un groupe aquitain connu : les six grandes églises à vaisseau unique voûtées d’une file de coupoles. La question de leur archéologie relative conduit à un débat fermé et spécieux, auquel s’ajoute le poids de restaurations drastiques. La force des liens personnels entre les commanditaires est une piste intéressante. Mais on peut aussi aborder le sujet en remarquant la place qu’occupent les cathédrales, notamment la plus ambitieuse, celle d’Angoulême. L’espace produit grâce à l’acculturation de modèles orientaux était-il jugé apte à exprimer la puissance de l’évêque ? Pour ce débat, il convient de regarder les transepts autant que les nefs, et de réhabiliter la place des célèbres édifices en cross-in-square, de Constantinople à Venise et Périgueux, dont la signification apostolique ne fait aucun doute. Au terme de la filiation, la cathédrale gothique de Poitiers montre tout l’intérêt des voûtes bombées en ciborium.


Andreas HARTMANN-VIRNICH
La cathédrale Saint-Trophime d’Arles. Réflexions sur les antécédents de l’église romane et de son espace claustral

RÉSUMÉ
La découverte récente d’un immense édifice de culte paléochrétien, maintenu en fonction jusqu’au VIe siècle, sur le site présumé de la première cathédrale d’Arles, dans l’angle sud-est de l’enceinte antique, pose sous un nouveau jour la question de la date du transfert du siège épiscopal sur son emplacement actuel près de l’ancien forum. La présente communication tente une réflexion sur les très rares éléments monumentaux des antécédents de la cathédrale romane et de son espace claustral, à partir des salles voûtées attribuables à l’Antiquité tardive ou au haut Moyen âge qui bordaient l’ancien cardo maximus. L’examen des données succinctes donne l’occasion de revenir sur les débuts des bâtiments claustraux, dont la position inhabituelle au sud du transept et du chevet de l’édifice cathédral déjà en place s’explique probablement par l’occupation de l’espace au sud de la nef par un autre ensemble monumental. En effet, l’existence probable d’une porte haute monumentale à l’étage du mur méridional du transept roman s’explique par un accès de l’extérieur antérieur à la mise en oeuvre de l’ensemble claustral actuel. Seul un vaste programme de fouilles archéologiques permettrait d’évaluer ou de réévaluer le potentiel archéologique du sous-sol de la cathédrale.


Gerardo BOTO, Marc SUREDA
Les cathédrales romanes catalanes. Programmes, liturgie, architecture

RÉSUMÉ
Bien que seules trois cathédrales romanes soient conservées (Urgell, Roda et Elna), les siècles romans ont laissé des traces déterminantes dans la configuration du paysage des cathédrales en territoire catalan. L’article vise à présenter, autour d’un fil architectural, quelques aspects de la signification culturelle des ensembles cathédraux construits dans les comtés catalans pendant plus de deux cents ans (début XIe s.-milieu du XIIIe s.). Les rythmes divers de la conquête de territoires sur l’al-Andalus, les réalités archéologiques préalables et les usages quotidiens et liturgiques des communautés canoniales déterminèrent la configuration d’ensembles d’églises et de bâtiments différemment organisés et conçus. Sauf pour le cas d’Urgell, où une multiplicité d’églises fut conservée et même élargie, la tendance fut à la concentration de fonctions liturgiques dans une seule église épiscopale qui put devenir un espace assez complexe du point de vue topoliturgique. Des données relatives aux processus de morphogénèse spatiale, de réalisation technique et architecturale et d’aménagement et spatialisation des programmes visuels sont aussi analysées


Emmanuel GARLAND
Construire une cathédrale dans le piémont pyrénéen à l’époque romane : défis, contraintes et solutions

RÉSUMÉ
Seize diocèses couvrent les Pyrénées. Dans quasiment tous fut édifiée - ou réédifiée - une cathédrale à l’époque romane, époque de profonde mutation tant sociale que religieuse. Dans ces conditions construire une cathédrale fut un acte essentiel pour les évêques bâtisseurs qui saisirent l’occasion pour affirmer la puissance de l’église face au pouvoir féodal, et aussi face aux nombreux établissements religieux qui échappaient à leur autorité. Du fait du cloisonnement naturel des vallées, les diocèses sont très individualisés. Du coup, les cathédrales présentent une très grande diversité, aussi bien dans les formes architecturales, peu innovantes, que dans la conception de leur décor peint ou sculpté, beaucoup plus élaborée, au service de l’église et de son pasteur, l’évêque. Les chantiers permirent d’attirer des ateliers d’imagiers qui rayonnèrent ensuite régionalement.


Arturo Carlo QUINTAVALLE
De nouvelles cathédrales dans la ville, du nord au sud de l’Italie, XIe-XIIe  siècles

RÉSUMÉ
Un aspect peu pris en compte dans la question des cathédrales de l’Occident et en particulier de la péninsule italienne est leur situation urbaine. Durant les XIe et XIIe siècles la ville en Italie double et parfois triple sa population et la reconstruction des murs témoigne de cette expansion rapide. Dans le même temps, nous voyons la reconstruction des cathédrales, souvent dans les mêmes lieux que les basiliques paléochrétiennes, hors des murs de la ville, c’est-à-dire en dehors des murs romains. La reconstruction des cathédrales répond à plusieurs objectifs : affirmer la continuité entre le début du monde chrétien et le monde de la Réforme ; transformer l’image négative du lieu, celui d’une église attachée à l’Empire, en image positive d’un lieu re-consacré, comme dans le cas des cathédrales du nord : Modène, Parme, Plaisance, Crémone ; réorganiser les parcours d’accès, volonté liée, toujours au nord, à la spécialisation des places : une place liée à la puissance de l’évêque avec la cathédrale et les palais épiscopaux, l’autre place où s’élèvent les bâtiments municipaux (Plaisance, Parme). L’essai commence par examiner quelques lieux symboliques de la Réforme, comme la cathédrale de Salerne ou celle de Capoue, mais aussi Sant’Agata dei Goti, un cas peu étudié, où la dimension de l’urbanisme antique a été bien conservée et où la réutilisation ou l’imitation d’éléments antiques, et même des sols de mosaïques romaines, témoignent d’un projet culturel conscient. Par conséquent, la reconstruction des cathédrales hors des anciens remparts porte, au sud comme au nord de l’Italie, une forte valeur symbolique et politique.


Vinni LUCHERINI
Rome, Naples et le rôle du Mont-Cassin : des politiques architecturales entre la papauté et de puissants évêques locaux

RÉSUMÉ
Dans cette contribution, nous examinons les changements auxquels la cathédrale de Rome, Saint-Jean de Latran, et la cathédrale de Naples, l’église du Sauveur ou Stefania, furent soumises au cours du XIIe siècle. Les deux bâtiments avaient été fondés au IVe siècle, au cours de la grande floraison architecturale de la période constantinienne. À Rome, la basilique du Latran a été transformée par l’insertion d’un transept continu, sur le modèle de celui de l’ancienne basilique Saint-Pierre ; à Naples, on intervient probablement sur la structure de la voûte de l’abside et on crée une nouvelle décoration picturale. Dans les deux cas, les raisons de ces transformations résident dans la volonté de leurs commanditaires de faire référence aux formes architecturales et ornementales de l’église abbatiale de Monte Cassino, entièrement reconstruite entre 1066 et 1071. C’est en effet dans la basilique de Monte Cassino que l’on peut identifier le modèle prestigieux qui servit d’exemple à la réintégration du transept à la fois à Saint-Jean de Latran et dans plusieurs autres églises de Rome ; c’est à la même basilique que l’on renvoie, à Naples au tournant des XIe et XIIe siècles, pour redécorer l’abside paléochrétienne de la cathédrale, et c’est toujours à Monte Cassino que l’on se réfère quand on construit la grande cathédrale de Salerne, à la fin du XIe siècle. Ce fut donc une église abbatiale qui servit de modèle pour d’importantes églises cathédrales de l’époque romane.


Manuel CASTIÑEIRAS
Périégesis et ekphrasis : les descriptions de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle entre la cité réelle et la cité idéale

RÉSUMÉ
La cathédrale romane doit être comprise comme un organisme vivant qui coïncide, dans la majorité des cas, avec l’émergence des villes qui eut lieu entre le XIe et le XIIIe siècle. La cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle n’échappe pas à ce processus, vu que sa construction (1075-1211) coïncide avec le développement urbain d’une ville qui s’organise autour d’elle dans une interaction type de portes, de places et de parcours. Grâce à un ensemble de textes contemporains de son érection - comme le livre V du Codex Calixtinus, l’Historia Compostelana ou bien quelques descriptions littéraires -, on peut comprendre comment était perçu et transmis alors le vécu d’un monument. Dans ces textes, en effet, qui vont du genre de la périégesis à celui de l’ekphrasis, se trouvent, de fait, quelques clés pour mieux comprendre le processus de construction de l’édifice, sa fonction urbaine, les motivations de ses commanditaires ainsi que son adaptation et son effet sur les pèlerins.


John MCNEILL
Les cathédrales normandes d’Angleterre : Lanfranc et la cathédrale monastique

RÉSUMÉ
À l’exception d’une seule, toutes les cathédrales médiévales d’Angleterre ont été soit fondées soit complètement reconstruites entre 1070 et 1140 environ. L’importance de ces reconstructions pour l’architecture romane anglaise ne peut pas être exagérée. Dans une perspective européenne, l’aspect qui distingue le plus les cathédrales romanes anglaises est le nombre de celles qui étaient monastiques. Sur quinze des diocèses pourvus d’une seule cathédrale, sept voyaient celle-ci être le siège d’une communauté bénédictine. Deux diocèses qui possédaient des co-cathédrales étaient pourvus chacun d’une cathédrale monastique et d’une cathédrale séculière (collégiale). Les cathédrales monastiques ont été beaucoup plus nombreuses après la conquête normande de 1066 qu’auparavant, et le développement de la cathédrale monastique a été certainement dû à Lanfranc, archevêque de Cantorbéry de 1070 à sa mort en 1089. Cette communication vise à examiner le statut, la conception et l’architecture de la cathédrale monastique en Angleterre au cours du XIe siècle.


Alain RAUWEL
La liturgie cathédrale au miroir des commentaires liturgiques du XIIe  siècle

RÉSUMÉ
À côté des textes descriptifs, les documents exégétiques sont utiles pour préciser les formes et comprendre les significations de la liturgie cathédrale. Brèves gloses sur la messe ou longs commentaires du cycle rituel, ils sont nombreux au XIIe s. Parmi les auteurs se distingue le moine anglo-germanique connu sous le nom d’Honorius Augustodunensis. Son ample Gemma animae permet d’abord de percevoir la cathédrale comme un espace structuré, à la fois selon un axe est/ouest, clef du principe fondamental d’orientation, et selon un axe secondaire nord/sud. Le lieu liturgique est aussi un lieu décoré, où la profusion des ornements mobilise toutes les ressources précieuses et les consacre à la gloire du Créateur. Enfin, la cathédrale est au coeur d’un système de polarisations, tant face aux autres églises urbaines que dans l’édifice même, centré sur l’autel « lieu du vrai sacrifice ».


Céline BRUGEAT
Le « cloître de  Montréjeau », un ensemble pyrénéen remonté aux Bahamas

RÉSUMÉ
Le cloître dit de Montréjeau, érigé à partir de 1962 dans les jardins d’un hôtel de luxe sur Paradise Island, est un monument peu connu. Une courte historiographie française, dominée par les travaux de l’abbé Dumail et d’Elie de Comminges, en dévoile une histoire complexe et questionne les origines. Ce « cloître » caribéen n’est pas la restitution d’un édifice original identifié mais bien une véritable « re-création » moderne constituée, pour l’essentiel, d’éléments médiévaux authentiques. L’extrême hétérogénéité des pierres révèle une provenance plurielle. Ainsi en suivant la piste des antiquaires et des collectionneurs, puis en examinant des vestiges préservés sur de nombreux sites français, les éléments qui le composent peuvent provenir de monastères gersois et haut-pyrénéens et non du seul monastère des Augustins de Montréjeau, tel qu’il était connu jusqu’à présent.


Daniel CODINA I GIOL
Une tentative d’interprétation du cloître de Cuixà

Quitterie CAZES
Conclusions
Chronique

Michel ZIMMERMANN
Anscari Manuel Mundó i Marcet (1923-2012)

Clemens KOSCH,
Les cathédrales romanes au bord du Rhin : architecture et topographie religieuse, résumé

RÉSUMÉ
Le long du Rhin se trouvent les sièges de huit anciens évêchés faisant autrefois partie du Saint Empire romain germanique : du Nord au Sud, il s’agit d’Utrecht, Cologne, Mayence, Worms, Spire, Strasbourg, Bâle et Constance. Pour la majorité d’entre eux, leur histoire remonte jusqu’à l’Antiquité tardive. En principe, les cathédrales construites à l’époque préromane et romane existent toujours (mis à part certains agrandissements et quelques reconstructions partielles ultérieures) à Mayence, Worms, Spire, Strasbourg (parties orientales) et Bâle. À Cologne, des fouilles très complètes effectuées sous la cathédrale gothique permettent de se faire au moins une idée des constructions antérieures. Il est donc judicieux, pour cette conférence qui a une durée limitée, de se concentrer sur les quatre exemples appartenant à l’Allemagne moderne.
En outre, pour faciliter la description et l’analyse de leur type architectural ainsi que de la reconstruction de leur mobilier liturgique d’origine, nous aurons parfois recours à des exemples complémentaires comme les cathédrales de Bamberg, Naumbourg et Paderborn, qui sont contemporaines des autres : c’est ainsi qu’on se rend compte tout de suite d’une particularité typique de l’Allemagne du Haut Moyen âge, son « conservatisme », s’exprimant par la fidélité à une formule carolingienne, le plan à deux choeurs opposés. Ce sera le thème majeur de notre conférence.
Pour faire comprendre la topographie sacrale d’un édifice du culte datant de l’époque romane, surtout lorsqu’il a été (ou est toujours) desservi par une communauté religieuse (dans notre cas : le chapitre cathédral), il est plus efficace d’employer certains symboles de couleurs. Sur les plans, ils indiquent l’emplacement historique de tous les centres du culte et de leurs installations liturgiques d’origine, souvent disparues ou transformées au cours des siècles suivants (autels, stalles et clôtures de choeur, jubés, tombeaux, fonts baptismaux, sacristies, salles du trésor etc.) - aussi bien à l’intérieur de l’église que dans ses annexes éventuelles (par exemple dans le cas de groupes épiscopaux, voire de chapelles destinées à une fonction particulière, de bâtiments claustraux avec salles capitulaires, de porches et monuments de justice ecclésiastique, de palais épiscopaux dotés de chapelles palatines…). Ainsi, on arrive à distinguer les différentes entrées destinées au clergé et son entourage (chanoines, vicaires, écoliers, choristes et musiciens, jusqu’au personnel laïque comme les sonneurs de cloches, les artisans, les surveillants etc.), à l’évêque et sa suite, éventuellement à l’empereur et à sa cour itinérante en visite, mais aussi aux habitants de la ville épiscopale et de ses environs, aux pèlerins et autres laïcs. Il en est de même pour les espaces et centres de culte à l’intérieur de la maison de Dieu, accessibles, tantôt sans réserve, tantôt pour des occasions bien précises, aux différentes personnes et aux groupes que l’on vient de citer. Tout cela est tributaire d’un changement permanent (dotation de nouveaux autels, acquisition de nouvelles reliques, nombre grandissant d’inhumations privilégiées, changement de la vie commune du clergé, destructions et reconstructions). En outre, la liturgie elle-même n’est pas « stable », au contraire, il y a de nombreux éléments dynamiques et ponctuels (processions, déroulement des grandes fêtes religieuses dans divers endroits de l’église, installations éphémères comme par exemple des tentes servant de Saint Sépulcre seulement pendant les fêtes de Pâques). Notre objectif se limite donc à une description globale des intentions des constructeurs de cathédrales pendant une première phase, qui, pour l’Allemagne, ne va en général pas au-delà du milieu du XIIIe siècle - la fin du règne des Hohenstaufen correspondant à la fin du style roman. Les plans munis de leurs symboles de couleur (en général, plusieurs coupes horizontales combinées avec une coupe verticale en longueur à la même échelle) devront aider à mieux faire comprendre aux spécialistes de l’architecture médiévale ainsi qu’aux visiteurs avertis la fonction de ces monuments historiques au moment de leur création.

* Pour des raisons indépendantes de notre volonté et de la sienne, le texte de la conférence de M. Clemens Kosch n’a pu être inclus dans ce volume des Cahiers. Il figurera dans le tome XLV (juillet 2014) et sera aussi disponible en téléchargement gratuit sur notre page web www.cuxa.org à la même date..

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